Interview: Les Britanniques ont le sentiment que l’Union européenne essaie de faire du tort à la City
Le Figaro - David Cameron a essuyé sa plus grande rebellion dans son propre camp au Parlement. Peut-on parler d’un vent d’euroscepticisme chez les politiques?
Charles Grant – Oui, il y a une vague croissante d’euroscepticisme. Mais la nouveauté, c’est toute cette classe de députés, récemment élus, qui se proclament des “eurosceptiques raisonnables”. Ils réclament que la Grande-Bretagne renégocie les termes de sa participation, avec notamment l’abolition de la politique agricole commune. Mais s’ils n'obtiennent pas gain de cause, ils demanderont le retrait du pays de l’Union européenne. Même si je pense que l’UE a effectivement besoin de réformes, la manière “douce” dont ils les réclament est très dangereuse, car ils encouragent un retrait.
Selon un sondage du Guardian, 49% des électeurs souhaiteraient un retrait de l’UE. Le peuple britannique peut-il faire pression dans ce sens?
Le sujet est important pour les activistes conservateurs, mais je ne suis par sûr qu’il le soit autant pour le peuple britannique. Car, même s’ils sont très hostiles à l’UE quand on les interroge, les Britanniques ne sont en fait pas très intéressés par cette question. Ils sont plus préoccupés par des sujets comme l’emploi ou l’inflation.
Peut-on concevoir qu’un jour le Royaume-Uni quitte l’Europe?
Oui, c’est possible. Il faudrait pour cela qu’une nouvelle génération de dirigeants conservateurs soit au pouvoit, moins pragmatique, qui pourrait organiser un référendum, ce qui aboutirait vite à un retrait. Ce n’est pas économiquement impossible. Certes, 50% de nos exportations vont vers l’Union européenne, mais notre économie est aussi très mondiale, donc ce ne serait pas un désastre.
David Cameron a declare que n’était pas le bon moment pour un referendum, memes s’il est favourable à une “réforme fondamentale”…
David Cameron est un eurosceptique, lui aussi. Mais, pragmatique, il sait que le Royaume-Uni peut accomplir plus de choses dans le monde en étant membre de l’UE. Je pense donc qu’il va rester, mais s’il accepte un réforme du traité, en contrepartie il réclamera la possibilité d’avoir plus de contrôle sur le volet social, sur l’emploi, la justice. Il voudra aussi une protection concernant la City de Londres.
Est-ce qu’il peut obtenir gain de cause?
Cela ne dépendra pas de lui mais d’Angel Merkel. Il y a deux possibilities: soit un traité est fait avec les 27 pays de l’Union européenne, soit Merkel et Sarkozy considèrent que la Grande-Bretagne en demande trop et vont faire un traité à 17.
Que peut-on attendre de ce sommet, selon vous?
J’espère que les gouvernements vont protéger l’euro. Le plus important est que l’Allemagne accepte un grand plan de sauvetage. S’il n’y en a pas un rapidement, c’est à mon avis la fin de l’euro, ce que je n’ espère pas, car cela ferait beaucoup de tort à l’économie britannique. David Cameron le sait et va vouloir l’éviter.
Comment les Britanniques regardent-ils la crise européenne? Est-ce qu’ils se féliceitent d’avoir rejeté l’euro?
Oui. J’ai personnellement soutenu à un moment l’adoption de l’euro, mais c’était une erreur, je ne m’étais pas rendu compte que son architecture était défaillante. Je pense que même si la zone euo résout ses problèmes, les Britaniques ne voudront plus rejoindre ce project: il se révèle un désastre pour les pays qui en font partie.
Le Royaume-Uni semble désireux de profiter des avantages de l’UE sans vouloir payer la facture. Est-ce vrai?
Je pense au contraire que le Royaume-Uni donne beaucoup à l’Europe. D’abord nous obéissons aux lois mieux que quiconque, mieux surtout que les Francais qui sont trés mauvais. Et puis, nous croyons en l'intégration économique, bizarrement plus que les Francais ou les Allemands, qui ont bloqué la dérégulation des services, de sorte que nous n’avons pas d’e-commerce européen. Je crois que l’Europe ne survivra pas sans integration. Par aillerurs, nous contribuons énormément au budget de l’Union européenne, et nous représentons aussi un immense marché pour les pays européens qui exportent.
Comment les Francais et les Allemands peuvent-ils séduire les Britanniques?
Ecoutez-nous quand il s’agit de regular la City de Londres. Nous avons introduit des réformes bien plus radicales qu’en France et en Allemagne, relative notamment à la separation entre la banque d’investissement et la banque de détail. Beaucoup de lois sont faites à Bruxelles par des gouvernements qui n’ont pas de marchés financiers et qui ne les comprennent donc pas. Les Britanniques ont le sentiment que l’Union européenne essaie de faire du tort à la City, et cela les éloigne encore plus de l’UE.
Que pensez-vous de Nicolas Sarkozy, qui aurait conseillé à David Cameron de se taire sur l’euro?
Je pense que c’est un style un peu brutal à l’égard de ses partenaires, mais ils y sont habitués. En même temps, il n’a pas complètement tort. Je comprends que l’on n’apprécie guère les lecons des Brittaniques ni leur ton supérieur. Mais il faut comprendre que nous sommes concernés par l’euro. Nous appartenons à l’économie européenne, donc vous devez nous donner le droit de nous exprimer sur l’euro.