Si le France rejette le traité, il ne se passera rien
Si les Français votent non le 29 mai, la Constitution europénne est morte. Ni un second référendum en France ni une renégociation du traité ne sont plausibles. Dès lors trois options sont possibles.
La première est qu'il ne se passera rien. Les chefs de gouvernement vont se rencontrer, enterrer le traité et declarer qu'ils auront besoin de quelques années pour voir comment fonctionne le traité de Nice avant de decider s'il est vraiment nécessaire de l'améliorer. Ne rien faire est l'option la plus aisée pour les gouvernements. Mais ne rien faire signifierait aussi perdre la dynamique de l'intégration européenne. On verrait triompher ceux qui s'opposent à ce processus. Or la plupart des gouvernements estiment que les institutions existantes fonctionnent mal. Après le dernier grand élargissement, la prise de décision est devenue plus difficle, ce qui nécessite de rendre plus fonctionnelles les règles du traité de Nice.
La deuxième option est d'essayer de sauver des parties de la Constitution. Certaines de ces dispositions peuvent être mises en oeuvre sans procédure de ratification. Par exemple, les gouvernements peuvent décider d'aller de l'avant en créant le service européen d'action extérieure et le ministre des Affaires étrangères. Mais nombre de points clefs, notamment les pouvoirs des institutions et le système de vote, ne pouront pas s'appliquer de façon informelle. Les gouvernements, de ce fait, pourraient être tentés de reprendre quelques parties fondamentales du traité, comme le vote à la "double majorité" afin de les intègrer aux traité existants. Ceci serait présenté comme un simple ajustement technique ne requérant pas nouveaux référendums. Mais cette manière de procéder susciterait des controverses politiques. Les eurosceptiques britanniques, français ou d'ailleurs dénonceraient l'arrogance des élites qui renforcent l'Union européenne dans le dos des peuples et les accuseraient d'être trop apeurés pour soumettre ces changements à un vote populaire.
Troisièment, le président Jacques Chirac pourrait essayer de reprendre l'initiative au travers d'une déclaration commune avec le chancelier allemand Gerhard Schröder en faveur d'un"noyau dur" (en français dans le texte, ndlr), un cercle étroit de pays intégrationnistes qui coexisteraient avec une Union plus large. La nostalgie du passé rend cette idée attrayante à de nombreux homes politiques français: un noyau dur dirigé par la France et l'Allemagne recréerait le "bon vieux temps" où ce duo dirigeait l'Union Européenne avant l'élargissement qui a dilué l'influence française.
Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schröder expliqueraient que le peuple français a rejeté le modèle d'une Europe trop vaste et trop libre-échangiste, mais que le France et l'Allemagne vont sauver le projet européen en créant un nouveau club. Ce dernier aurait pour objectifs de maintenir de hauts niveaux de protection sociale, d'empêcher la concurrence fiscale déloyale et d'achever une coopération judiciaire plus étroite. Paris et Berlin espéreraient que l'Espagne, la Belgique et peut-être quelques autres pays se joigneraient à eux.
Deux questions majeures affectent la validité d'un tel project. Premièrement: est-ce que Jacques Chirac, affaibli par une défaite référendaire, aura l'énergie, la détermination et surtout le culot de prendre une telle initiative? Et deuxièmement, l'Allemagne seta-t-elle prête à le suivre? On connaît la sympathie de Gerhard Schröder pour le concept de noyau dur, mais beaucoup d'Allemands rechigneront à suivre le leadership chiraquien, d'autant que l'autorité morale de la France au sein de l'Union européenne serait sérieusement entamée par le défaite du référendum. Vu la faible probabilité d'une réponse positive à ces deux questions, la création d'un noyau dur est de loin le moins vraisemblable des trois scénarios.