Tony Blair invite les Européens à réfléchir au non français
Il faudra attendre lundi 6 juin pour savoir officiellement si le Royaume-Uni renonce à organiser son propre référendum sur la Constitution de l'Union européenne. La décision britannique sera annoncée à la Chambre des communes, dès le jour de l'ouverture de la nouvelle législature, par le ministre des affaires étrangères, Jack Straw. En Italie, où il achevait, lundi 30 mai, un long week-end de vacances, Tony Blair a appelé ses partenaires européens à "un moment de réflexion" sur les raisons du non français et sur les conséquences de ce vote et de celui qui a lieu mercredi aux Pays-Bas.
Au-delà du rejet français, a estimé M. Blair, ce qui est en question, "c'est l'anxiété des Européens face à l'avenir économique de leur continent" . "Comment, a-t-il ajouté, donnerons-nous aux citoyens une protection et des services publics adéquats tout en retant forts, prospères et compétitifs ? C'est ce dont nous devrons débattre en Europe, quelles que soient nos décisions" sur la Constitution.
Sans se prononcer sur l'avenir du texte, Tony Blair semblait ainsi rappeler les priorités de la présidence britannique de l'Union, qui commencera le 1er juillet : faire progresser les réformes économiques, en favorisant la libéralisation et la flexibilité, notamment en matière d'emploi.
Les ultimes prudences du gouvernement à propos de la Constitution ne sont pas de mise parmi les commentateurs et les experts. Pas un seul ne parierait un penny sur la tenue du référendum britannique.
Charles Grant, directeur du Centre for European Reform, un institut pro-européen proche du New Labour, est catégorique :
"La France a tué le traité. Il n'y aura donc pas de référendum en Grande-Bretagne. Le gouvernement n'a aucune raison d'organiser un scrutin qu'il perdrait probablement. Pourquoi subirait-il l'humiliation d'une défaite inutile ? Il ne peut pas le dire pour l'instant publiquement, mais tout le monde le sait." Faut-il poursuivre les procédures de ratification du traité ? "Non, et je le regrette, car je trouve ce texte très bon. Son adoption aurait fait du bien à l'Europe. Mais poursuivre la ratification là où elle reste à obtenir relèverait d'un exercice académique. On aurait pu imaginer cela, à la limite, si les Pays-Bas ou même la République tchèque votaient non. Mais avec la France... D'ailleurs, les Français n'auront pas envie de voter une seconde fois sur ce texte. Il vaut mieux, malheureusement, que tout le monde se rende à l'évidence et constate la mort du traité. Le sommet européen du 16 juin serait le moment idéal pour cela."
PÉRIODE DE TENSION ANNONCÉE
Charles Grant rappelle une évidence : "Il y aura une vie après la Constitution européenne." Il aimerait que le Conseil européen adopte une stratégie sur trois fronts. Il devrait d'abord continuer de s'atteler aux grands problèmes de l'Europe, sans être obsédé par les dilemmes institutionnels : l'adoption du prochain budget 2007-2013 de l'Union, la conclusion des négociations commerciales du cycle de Doha, les discussions nucléaires avec l'Iran, la réforme économique et notamment la directive sur les services, l'ouverture des pourparlers d'adhésion avec la Turquie et la Croatie.
Ensuite, propose Charles Grant, les dirigeants européens devraient s'efforcer de "sauver quelques petits morceaux du texte constitutionnel" , en accord légal avec les traités existants. Ils pourraient, par exemple, mettre en oeuvre "le service d'action extérieure" , une sorte de corps diplomatique européen, ou créer le poste annoncé de "ministre des affaires étrangères" de l'Union.
Enfin, après une pause d'un ou deux ans, les Européens pourraient réunir une "mini-conférence intergouvernementale" qui "adopterait les deux ou trois innovations techniques clés du traité" , notamment le vote à la double majorité, la création du poste de président de l'Union et la réduction du nombre de commissaires. "Ces amendements constitueraient un nouveau mini-traité de deux pages visant seulement à améliorer le fonctionnement de l'Union et ne lui transférant aucun nouveau pouvoir. Les eurosceptiques crieront qu'on fait les choses derrière le dos des peuples. Mais il ne s'agirait que d'un petit bricolage ne nécessitant pas d'être approuvé par référendum."
Charles Grant prévoit une période de tension dans les relations entre Londres et Paris. "Sur la question du rabais britannique, -Jacques- Chirac va sans doute se montrer encore plus dur, mais [Tony] Blair aussi. Cela dit, tous les autres pays se raidiront : l'Espagne sur les fonds structurels, l'Allemagne sur le gel du budget. Sur la réforme économique, sur la directive services et sur la Turquie, -Jacques- Chirac traînera les pieds. Mais la France n'aura plus assez d'autorité morale ni d'influence pour imposer son ordre du jour, surtout si le pouvoir change de main en Allemagne. Angela Merkel est plus encline aux réformes et plus ouverte aux idées britanniques."